Entretien JDP 2023 – Marion WRIGHT (Rectorat)

Cet entretien s’inscrit dans la continuité de la cinquième édition de la Journée de Professionnalisation du CAS organisée par Emeline JOUVE, Nathalie DESSENS et Laurent QUERO-MELLET. Nous les remercions chaleureusement tous les trois pour leur confiance. Un grand merci aux intervenants de la journée qui ont gentiment accepté de répondre à nos questions ! 

Avez-vous toujours voulu exercer votre métier actuel ? Comment cette décision s’est-elle imposée à vous ?

Pas du tout ! […] Cette activité professionnelle s’est imposée à moi pour me sortir d’un immense traumatisme vécu 20 ans auparavant, lors de mes études, que j’adorais.

J’ai eu un parcours atypique et sans aucun doute chaotique. N’ayant jamais été encouragée à étudier par ma famille, sans baccalauréat, j’ai commencé à travailler tôt, un peu avant mes dix-huit ans, comme assistante. A la naissance de mon fils, à 31 ans, j’ai eu envie de changer de métier, étant presque bilingue en anglais, aimant naïvement les enfants, ayant envie d’une activité professionnelle qui me permettait de voir mon fils… J’ai pensé à l‘enseignement et me suis naturellement tournée vers l’université, sentant et sachant que c’était un morceau de ma vie qui me manquait cruellement et par lequel je devais passer pour devenir un être complet.

J’ai été admise en DEUG (L2) grâce à une VAE. J’ai vécu les plus belles années de ma vie pendant trois ans. […] Sans bac ni école préparatoire, je me suis retrouvée en maîtrise (M1), à la fière 4° place de ma promotion. Je ne me sentais pas assez forte pour passer l’Agrégation, et m’étais inscrite au CAPES, ayant vraiment hâte de retourner dans le monde du travail, pour gagner à nouveau ma croûte et regagner mon indépendance. Un drame familial s’est déroulé après mon admissibilité et à quelques jours de mon admission. Je me suis présentée devant le jury le cerveau en état de choc, et je n’ai pu tenir que 3 minutes à l’entretien, avant de m’effondrer.

Les deux ans qui ont suivi, j’ai perdu l’usage de la parole, en français, et en anglais. Je savais qu’il fallait que je retourne à une activité professionnelle au plus vite, et me suis traînée dans une boîte d’intérim quand j’ai commencé à pouvoir échanger des paroles simples. J’ai retrouvé un poste d’assistante derrière un ordinateur, qui exigeait peu ou pas que je m’exprime. J’ai fini ce contrat alimentaire d’un an, dont la seule vertu avait été de me faire me lever le matin.

J’ai enseigné dans un centre de formation agricole. J’ai commencé en septembre avec 6 heures pour les BAC, puis deux mois plus tard, l’enseignante d’anglais titulaire en bout de course a démissionné, et on m’a offert un temps plein, avec trois filières en BTS et une licence professionnelle.

Enseigner pendant 10 ans la langue qui m’était la plus chère au monde ne m’avait pas sorti du trauma. Je me suis dit qu’il fallait que je m’intéresse aux symptômes de mon aphasie pour aller au plus proche de ma problématique pour avoir un espoir de m’en sortir. J’ai cessé d’enseigner, cassé ma tirelire CPF et suis partie pendant 8 mois apprendre la langue des signes en immersion avec des Sourds.

Pendant ma formation, la secrétaire a affiché une toute petite annonce pour une création de poste au rectorat de Toulouse : assister le seul et unique IA IPR (comprendre Inspecteur Académique, Inspecteur Pédagogique Régional) de LSF de tout le territoire français, basé à Toulouse. And I did it! J’ai été embauchée après une période d’essai de sept mois. J’ai écrit et corrigé les nouveaux programmes du Baccalauréat ainsi qu’une nouvelle version des critères d’apprentissage de la LSF. J’ai travaillé avec des linguistes basés en Suisse (membres du Conseil Européen) ainsi qu’avec le Dr Joe Valente qui travaille à la Gallaudet University (Washington DC), la seule université pour les sourds du monde. Il m’a invitée à lire pendant ses conférences TED.  Je travaille aussi avec la Direction Générale de l’Enseignement Scolaire deux fois par an pour organiser le Diplôme de Compétence en Langue des signes Française.

Considérez-vous votre parcours académique comme une force pour votre métier actuel ?

Immensément, oui. Non seulement j’ai appris des faits (toujours bien de s’instruire) mais également des concepts, qui m’ont fait énormément réfléchir. Certains concepts m’ont renforcée, d’autres ouvert les yeux, notamment sur ma condition de femme. Même si je n’ai pas su/pu donner la suite que j’espérais à mes études, elles me servent tous les jours. Elles automatisent la réflexion au quotidien, et c’est une force incroyable face aux ennuis et/ou aux situations compliquées de la vie. Savoir écrire est une force incroyable, démultipliée si elle est accompagnée du sens de l’analyse.

Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un doctorant en études anglophones qui souhaiterait s’orienter vers un métier dans votre domaine ?

Accepter que la suite soit différente que celle dont on a rêvé, sans pour autant jeter à la poubelle toutes les acquisitions, mais bien leur donner une autre vie. Rester créatif, plutôt qu’obéissant, transformer sa supériorité intellectuelle en une arme pertinente, et non dégradante envers les autres. Le piège est trop grand : la conscience de sa propre supériorité académique tend facilement à nous faire considérer les autres comme des imbéciles ignares. Cela peut être le cas, mais ne jamais oublier d’en faire une force personnelle, plutôt qu’une arme avec un regard destructif envers ceux qui nous entourent. Continuer à accepter qu’il y a une infinité d’autres points de vue, et de sources d’intérêts. Ne jamais se renfermer sur sa spécialité. Se nourrir des autres, continuer d’évoluer. Une zone de confort n’est jamais destinée à vous faire avancer, mais bien de nous sécuriser.

L’agrégation ou le CAPES ne doivent pas être l’alpha et l’omega des études d’anglais. J’ai adoré mes études, même si parfois je les ai trouvées déconnectées de la réalité du travail. Il ne tient qu’à vous de rester concentrés, intelligents et suffisamment créatifs pour faire vivre ce diplôme dans votre vie professionnelle.

Marion a choisi l’image suivante pour illustrer son témoignage : les remerciements touchants d’une ancienne élève.